« Une voix qui ne fait plus résonner les oreilles… »

Le 11 juin 2024, Jacques Fraenkel a déménagé à la cloche de bois, pris ses cliques et ses claques et la tangente. Les éditeurs, chercheurs et tous les amis de Robert le connaissent : à la mort de son oncle Théodore Fraenkel, compagnon des fondateurs du surréalisme, fidèle ami et exécuteur testamentaire de Robert Desnos, Jacques Fraenkel a pris à cœur la défense et gestion de l’œuvre du poète, encourageant avec la plus grande générosité les éditions et la diffusion de ses textes. Se refusant à distinguer l’homme de l’œuvre, il n’a jamais perdu une occasion de témoigner de la qualité de l’homme, de faire entendre le poète.

Jacques Fraenkel était né en 1938, sale période pour un enfant juif à Paris. Ses premiers souvenirs sont ainsi éclairés par les visites de Robert au lieu où son père, Vladimir, le tient caché pendant l’occupation. À plusieurs reprises, il a témoigné de la présence familière du poète, de leur dernière rencontre peu de temps avant son arrestation, de cette complicité sans condescendance que Desnos entretenait avec les enfants. C’était, dans les années noires, un viatique.  Il se souvient notamment en 2015 dans Les Nuits de France Culture [1] de cette période où, autour de ses six ans, il avait dans sa réclusion cette « chance inouïe […] que cet homme vienne, me prenne sur ses genoux et me raconte des histoires ». Une dette vitale le liait au poète : la fausse carte d’identité que Desnos avait procurée au père de Jacques leur avait sauvé la vie dans une rafle rue de Saint-Pétersbourg. Mais rien n’avait pu suspendre le terrible engrenage qui avait conduit le poète à Terezin. Jacques Fraenkel, le temps venu, s’est donc consacré de toutes les façons, à la transmission de son œuvre et à la perpétuation de sa mémoire. La dernière visite de Robert à l’enfant qu’il fut est restée gravée en sa mémoire :

La dernière fois que j’ai vu Desnos c’était en février 1944, environ un mois avant son arrestation. Il m’a dit :

« C’est bientôt ton anniversaire. Je vais t’écrire un poème, je te ferai un dessin et je reviendrai t’apporter ça la prochaine fois. ». Depuis, je le côtoie tous les jours, j’ai des photos partout. J’ai la chance d’être devenu son ayant-droit puisqu’il est mort sans héritier et, avec Marie-Claire Dumas, je fais vivre son œuvre. Je suis toujours très ému en pensant à lui. [2]

Cette enfance persécutée a posé sur lui une ombre mélancolique que l’humour et cet élan que lui avait communiqué la présence vivante du surréalisme, balayaient périodiquement dans un regain d’énergie. On le retrouvera, l’œil malicieux puis soudain grave,  dans un  entretien avec Delphine Maury [3] où il illustre de poèmes l’idée que les Chantefables contiennent de multiples allusions aux activités clandestines du poète ou encore dans le film de Fabrice Maze, Robert Desnos (2007).

Mais tous les amoureux de la poésie de Desnos connaissent-ils l’autre versant des activités de Jacques Fraenkel ? Très impliqué dans un domaine artistique cher au poète, le cinéma, il a fait ses premières armes aux côtés de Luis Buñuel comme assistant réalisateur sur le tournage de Safari diamants (1966), Belle de jour (1971), Aux Frontières du possible (1967) ; il fut ensuite réalisateur et producteur de vidéogrammes avec France 5 et le Centre de documentation pédagogique, directeur des études à l’IDHEC –FEMIS. Parmi ses films « Les voies de la lumière »,  «À l’écoute de la terre »  (avec Raymond Sauvaire) , « À la découverte de la science » (dans les Chroniques de France) rappellent que science et poésie explorent chacune à leur manière les merveilles du vivant et leur part de mystère.

Il s’est embarqué désormais et peut arborer à son tour comme une devise, cet aphorisme qu’il citait volontiers : « Rrose Sélavy a visité l’archipel où la reine Irène sur les flots de sa rame de frêne gouverne ses ilôts. »

MPB


[1] Son témoignage a été recueilli notamment sur https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/nuit-speciale-robert-desnos-avec-marie-claire-dumas-et-jacques-fraenkel-entretien-2-3-7780010

[2] Robert Desnos, L’Homme qui souriait, Yvanne Chenouf, avec la participation de Robert Caron sur http://actes-de-lecture.org/IMG/pdf/al138_p16_desnos.pdf

[3] voir https://vimeo.com/303526069 (Tant mieux prod 2015). Voir aussi le beau témoignage de Gaëlle Nohant sur  le site des Amis de Robert Desnos.

Jacques Fraenkel, 2015 (https://vimeo.com/303526069)
Jacques Fraenkel, 2015 (https://vimeo.com/303526069)