Mai 2021
L’Etoile de mer, Cahier de l’Association des Amis de Robert Desnos, offre dans son numéro 9 de 2020 une correspondance de 1923 entre Jean Carrive et Robert Desnos, ponctuée de quelques lettres d’André Breton, de Pierre Picon et de Simone Kahn.
Jean Carrive (1905-1963) est sans doute plus connu aujourd’hui pour ses traductions de Kafka que pour son passage dans le groupe surréaliste. En novembre 2016, la vente de sa bibliothèque chez Tajan révélait de passionnantes correspondances et des documents précieux –notamment un exemplaire de La Révolution surréaliste truffé d’archives qu’a complétées l’année suivante la vente Youki Foujita Desnos, chez Roquigny, Saint Valéry-en-Caux.
Le lecteur trouvera en marge de la lettre de Desnos du 15 mai 1923 un dessin énigmatique - les Amis de Robert Desnos ont-ils su répondre au Sphinx ? https://www.robertdesnos.com/
On découvre dans cet échange de 46 lettres, présentées par Marie-Claire Dumas, un brillant lycéen de Bordeaux doté d’un fort tempérament, qui fulmine et tempête avec forces blasphèmes et jurons, contre la famille, la discipline scolaire, la doxa, les révisions du bac, le concours général et s’adresse à ceux qui représentent l’espoir : la petite équipe de la revue Littérature que Carrive a réussi à se procurer. Il entre en contact avec André Breton en 1922, puis écrit à Desnos qui se montre accueillant, lui explique en deux mots le surréalisme, fait le point sur les livres à lire, ceux qu’il convient d’éviter :
Je vous félicite de tant aimer Lautréamont, c’est aussi l’une des choses que j’aime le plus au monde avec le marquis de Sade, Germain Nouveau. N’aimez-vous pas aussi Benjamin Constant, Jarry, Restif de la Bretonne, Nerval ?
Je n’ai jamais aimé Proust ni Péguy, j’ai même toujours détesté ça. Par contre j’aime encore certaines pages de Claudel, les pantoums de Java et quelques poèmes de Cros.
Malgré les précautions scrupuleuses prises de part et d’autre, on frôle parfois le malentendu : Breton subodore un piège, puis fait amende honorable ; on envoie à Jean Carrive les recueils qu’il ne peut trouver à Bordeaux puis la première rencontre a lieu à Paris, le temps d’une fugue. Carrive figure dans le Manifeste de 1924 parmi ceux qui « ont fait acte de surréalisme absolu », salué par Aragon pour son « magnifique sens de la révolte ». Sa signature est régulièrement présente au bas des tracts jusqu’à la fin des années vingt.